Dans l’envers du decor de la sommellerie – Episode 4

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20h15

Le coup de feu n’existe pas qu’en cuisine. On le vit en salle également ! Quelques tables arrivent en même temps ou à intervalle rapproché. Et voilà qu’il faut gérer de multiples prises de commandes, puis de multiples apéritifs à préparer, de multiples bouteilles à ouvrir et de multiples plats à amener. Le tout bien évidemment avec préséance.

Mon rayon, ce sont les bouteilles. Donc me voilà à dégringoler les escaliers de la salle à la cave et de la cave à la salle, de faire voltiger les bouteilles dans les paniers, de les présenter au client, de les ouvrir en se méfiant des bouchons capricieux, de les passer en carafe ou de les décanter si nécessaire, de les goûter, de les faire goûter et enfin de les servir suivant le protocole : les femmes d’abord de la plus âgée à la plus jeune, les hommes ensuite du plus âgé au plus jeune, la personne invitante en dernier.

A 20h15, revenant pour la troisième fois de suite de la cave, le maître d’hôtel vient me voir pour m’assener : « il faut que tu surveilles davantage les niveaux en salle : certains verres sont vides ». D’où la conclusion qui s’impose : un bon sommelier doit pouvoir se dédoubler.

21h

Une accalmie… J’essaie dans ces cas-là d’aider les serveurs autrement gare au chef de rang qui s’affaire et qui voit le stagiaire inactif : « Va faire la vaisselle plutôt que de tourner en rond ». Mais la vaisselle n’est pas non plus de tout repos. Car le verre ne doit pas être vide en salle ! «Arrête de faire la vaisselle, tu dois être en salle ! »

22h

Le dernier groupe arrive : c’est une heure pour arriver ? Le client est roi bien sûr. Et c’est reparti : apéritif, amuse-bouches, entrée, plat, dessert, café… Et moi de courir chercher du vin. « Un p’tit vin, des p’tits vins, rien que des p’tits vins des pe-tits vins des pe-tits vins… » Je commence à fatiguer ! Et je ne trouve pas la vingtième bouteille de la soirée dans la cave… Le maître d’hôtel arrive furieux en assenant : « Tu me pètes les couilles ! »

Et là, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je lui explique qu’il y a des limites à ne pas dépasser. L’échange s’envenime jusqu’à ce qu’un cuisinier calme le maître d’hôtel. Le cuisinier viendra me voir plus tard en m’expliquant que le plus sûr comportement en restauration est de s’écraser. En tout cas, je n’entends plus le maître d’hôtel jusqu’à la fin du service. Il boude.

22h45

En cuisine, en fin de service, le  chef crie.

« Bande d’incapables, vous nettoyez depuis une demi-heure. Je ferai mieux de passer par une société extérieure ».

23h

Ouf, c’est fini. Le maître d’hôtel me prend à part et me demande : « J’ai une confidence à te demander : tu m’aimes ? ». Ce sont des fous  ici!!

23h30

Le chef fait l’inspection du vin restant dans les bouteilles entamées. Il me dit de les amener à la cave, où il me rejoint.

« Alors, il reste des fonds de bouteille de Gevrey-Chambertin, de Nuits-Saint-Georges, de Chambolle-Musigny et de Côte de Nuits-Village. Bon, regarde comment on fait un assemblage pour refaire le niveau de la bouteille de Chambolle : un quart de Côte de Nuits-Village et un quart de Gevrey pour le fruit, 1/8 de Nuits-Saint-Georges pour ne pas avoir trop de tanins et le reste en Chambolle ».

Qui a dit que l’on ne faisait pas d’assemblage en Bourgogne ?

« Et maintenant, ramène la bouteille pleine de Chambolle dans la cave du jour pour la servir au verre demain ! »

23h45

Le chef invite son personnel à faire une dégustation de vin à la cave. Il va chercher des bouteilles (des vraies !) et c’est parti ! Les belles bouteilles de Bourgogne défilent, on ne peut plus l’arrêter ! Une douce ivresse nous envahit, au bout de la cinquième bouteille, nous le dissuadons de continuer à vider sa cave mais il nous oppose une fin de non-recevoir.

00h30

Le chef de rang déboule dans la cave. Il aidait « Madame » en haut à gérer le linge. Il m’interpelle dans la cave : «  Il y a des tâches de vin rouge sur la nappe, on voit que ce n’est pas toi qui lave le linge. Madame n’est pas contente, fais attention la prochaine fois ! ». Cette maudite journée ne se finira jamais…

1h

Cette fois-ci c’est la dernière boutanche ! Un Meursault-Perrière Coche-Dury 2007, s’il vous plaît ! Quel vin, l’exemple-même de la minéralité avec une longueur interminable. Nous repartons dans une ambiance recueillie et aussi quelque peu hagard. Je pense alors à mon retour à mon poste de travail à 10h le lendemain matin…

FIN.

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